RESUME DU WEBINAIRE DU 6 FEVRIER SUR LE DECRYPTAGE DU PROJET DE LOI IMMIGRATION “Contrôler l’immigration et améliorer l’intégration”
Le 6 février, l’UEE a organisé un webinaire animé par deux professeur.e.s en droit public, Bérangère Taxil (Université d’Angers) et Serge Salma (Université Grenoble-Alpes), ainsi que par Frédéric Salin (EHESS, fellow IMC), doctorant en sociologie, avec plus de 200 personnes inscrites. L’objectif était de décrypter le nouveau projet de loi du gouvernement pour “contrôler l’immigration et améliorer l’intégration” et son impact sur les personnes exilées puis de répondre aux questions du public. Les intervenant.e.s se penchaient chacun.e sur un point particulier de la loi : le droit d’asile, le droit de séjour et le droit du travail.
A noter : Les discussions se fondent sur le texte présenté en Conseil des ministres en février, il a pu être modifié depuis au cours des débats parlementaires.
Introduction
Depuis 1986, les différents textes proposés vont vers une détérioration des droits et des conditions d’accueil des personnes exilées en France ce qui accentue les possibilités de refus et de retrait des protections. Le contexte politique et juridique accentue la dimension sécuritaire et déploie une vision de la personne exilée comme un être menaçant.
- Un focus sur la modification du droit d’asile et les nouvelles restrictions (Bérangère Taxil)
Introduction
Ce projet de loi porte sur quelques points de détail en matière de droit d’asile et il faudra surtout être attentif à sa mise en application. Les manques sont la question de l’hébergement des demandeur.euse.s d’asile, la question de l’asile outre-mer et la réflexion sur les fondements juridiques du visa asile parfois délivré par les consulats.
L’accès au travail des demandeurs d’asile
L’accès immédiat au travail pour les demandeur.euse.s serait limité aux personnes venant d’un pays à taux de protection internationale de plus de 50% (Syrie, Erythrée, Afghanistan). Aujourd’hui, seulement 2,3% des demandeur.euse.s d’asile obtiennent un permis de travail.
La décentralisation des pôles de l’OFPRA et du CNDA
Au stade de l’OFPRA, on constate le refus de la création d’un établissement unique qui fusionnerait ses compétences avec celles de l’OFII donc il n’y a pas de réorganisation institutionnelle en profondeur. A l’inverse, le but est d’augmenter les décentralisation de l’OFPRA en province et à l’étranger et d’anticiper l’intervention de l’OFPRA ce qui risque de mettre à mal l’accompagnement social des personnes, or, celui-ci augmente largement les chances d’obtenir une protection
Du côté de la CNDA, on cherche à accélérer les recours dont les délais sont ralentis depuis trois ans. Il faudra faire attention à la question de la décentralisation de la CNDA qui pourrait entraîner une augmentation des visios du fait du manque d’interprètes et donc provoquer plus de renvois. Pour le moment, l’harmonisation de la jurisprudence de la CNDA n’est pas prévue.
La question du juge unique à la CNDA
La collégialité ne dépendra pas de la loi mais de son application concrète. Si elle ne disparaît pas, elle est mise à mal depuis plusieurs années, cependant, cela ne devrait pas changer le taux de protection.
- La question des expulsions et du rejet des titres de séjour (Serge Salma)
Introduction
Le principal problème actuel en ce qui concerne ce droit est la demande du titre de séjour : le Conseil d’Etat a reconnu que la législation existante était illégale car il n’y a pas d’alternative à la procédure dématérialisée de dépôt du titre de séjour. Il y a quelques améliorations comme la fin de la rétention des enfants (mais seulement de moins de 16 ans), or, il est probable que cela ne soit pas appliqué à Mayotte où 3500 enfants sont retenus par an. De plus, le droit du travail des demandeur.euse.s d’asile évolue aussi plutôt dans le bon sens même s’il ne concernera que trois nationalités.
Les points de durcissement
– Le Contrat d’Accueil et d’Intégration contiendrait un test de français alors qu’il y avait jusque-là une formation en français ce qui sera très discriminant pour les personnes illettrées.
– La double peine (mesure d’éloignement et peine de prison) pourrait concerner beaucoup plus de personnes (potentiellement des dizaines de milliers de personnes, parfois en séjour régulier) car les catégories protégées par les mesures d’éloignement (comme les mineurs de moins de 13 ans) sont restreintes et les délits de trouble à l’ordre public qui sont sanctionnées par ces peines vont être élargis.
– La contrainte par corps en cas de refus de prise d’empreintes sans décision préalable d’un.e juge judiciaire est très alarmante.
– Le fait de retirer ou de ne pas renouveler le titre de séjour lorsqu’il y a atteinte aux principes et valeurs de la République qui vise le séparatisme islamique touchera probablement d’autres personnes car le motif est très large. De plus, la délivrance d’un titre de séjour est conditionnée à un acte d’engagement à ces principes, or, cela n’a aucune valeur car il n’y a pas de contrat en matière de police.
– La possibilité de systématiser les refus de visas pour les personnes ayant déjà reçu une OQTF.
- L’intégration par le travail (Frédéric Salin)
Le titre de séjour métier en tension
Un article prévoit l’octroi d’un titre de séjour de droit d’un an dans les métiers en tension et dans les conditions d’exercice de ce métier et ce à titre expérimentale jusqu’en 2026. Cependant, la liste des métiers en tension donnée par le ministère de l’Intérieur est obsolète, or, ce point est déterminant. Surtout, il y a une dimension politique et symbolique avec la canalisation des personnes exilées vers les métiers les plus difficiles. Cela renforce la perception raciste des étrangers comme une main d’œuvre à disposition et la structuration raciste de l’organisation du travail en France. C’est une constante depuis plusieurs années et c’est pourquoi il faut revendiquer le droit à la qualification et le droit à la langue.
La question de l’accès au travail pour les personnes en demande d’asile
Un autre article concernant l’accès au marché du travail dès la demande d’asile est un retour en arrière car ne sont autorisées à travailler que les personnes en procédure normale (soit un tiers du total) ressortissant des trois pays à un taux de protection internationale de 50%. Cela risque d’introduire une différence de traitement entre les demandeur.euse.s d’asile ce qui peut aboutir à une différence de jugement du droit d’asile.
L’articulation entre le niveau de langue et le travail
Il y a aujourd’hui une politique de rationnement des cours de français ce qui entrave à l’accès aux droits car l’administration ne parle que français mais aussi à des métiers qualifiés et aux diplômes. On constate également une marchandisation du français : seuls les mots utiles dans le cadre du travail sont enseignés, c’est une langue appauvrie et adaptée aux besoins de l’économie qui ne suffit pas pour avoir le niveau de français B2 requis pour obtenir la nationalité.
Les manques de cette loi
– L’accès à une qualification (avec une reconnaissance institutionnelle des compétences selon un processus précis et assurant un bon niveau de rémunération et une stabilité de l’emploi) universitaire ou professionnel
– Le thème de l’hébergement est aussi mis de côté avec peu d’alternatives entre l’hébergement directif et l’isolement qu’il engendre ou le refus et la précarité matérielle qui suit
– L’évocation des difficultés administratives qui entravent l’accès au marché de l’emploi et aux conditions de travail comme la dématérialisation, la reconnaissance du permis de conduire etc.
Les prochaines étapes
- La semaine du 27 mars 2023 : examen du projet de loi par le Sénat (première lecture)
- Mai-juin 2023 : examen du projet de loi par l’Assemblée Nationale (première lecture)
Pour écouter le wibinaire sur notre chaine Youtube :