L’accès à l’enseignement supérieur des étudiant·es exilé·es en France Récits, parcours et recommandations

Face au manque de données sur l’accès à l’enseignement supérieur des personnes exilées, cette recherche-action collaborative construite à partir de l’analyse thématique d’entretiens auprès d’étudiant·es exilé·es nourrit deux objectifs principaux : donner un aperçu de la situation des étudiant·es exilé·es lorsqu’ils et elles s’engagent dans un parcours de reprise d’études et identifier les obstacles institutionnels, administratifs, ou matériels à leur accès aux études supérieures ; le tout à partir de récits à la première personne. Elle vise à susciter des travaux académiques, stimuler la réflexion politique, et aider à concrétiser des améliorations dans l’accès aux études supérieures des personnes exilées. L’étude aborde trois domaines des trajectoires d’étude des personnes exilées : la question de l’information et de l’inscription d’abord, les enjeux du lien social et de la poursuite d’études ensuite, et enfin le thème de la précarité matérielle (logement, revenu, travail) qui conditionne grandement le parcours académique.

Manque d’information et blocages administratifs : la langue et le statut administratif comme principales barrières à l’accès aux études

L’accès à l’information et aux procédures de candidature pour la reprise d’études des personnes exilées en France est complexe et inégal.

La première inégalité oppose les étudiant·es qui ont eu l’opportunité de rejoindre l’université française via le dispositif Campus France et les autres, qui doivent se débrouiller seul·es, une fois sur le territoire français, pour candidater, révélant les effets délétères d’une politique d’accueil discriminatoire puisque seuls 69 pays sont concernés par la procédure « Études en France » de Campus France.

Les entretiens révèlent par ailleurs la grande diversité d’acteurs publics et privés auprès desquels les candidat·es obtiennent des informations. Mais l’absence d’informations vérifiées, accessibles et diffusées largement dans tous les points d’accueil complique la reprise d’études. La dématérialisation des services administratifs, l’éloignement physique et le manque d’accompagnement des candidat·es renforcent leur isolement ainsi que les inégalités dans l’accès aux informations. Les établissements universitaires, dont les informations et les procédures d’inscription sont souvent uniquement accessibles en ligne et en français, créent des barrières technologiques pour des publics durement exposés à la fracture numérique, c’est-à-dire sans connexion internet, ni mobile ou ordinateur fiable. Ces difficultés sont redoublées par le coût financier des dossiers de candidature, sans commune mesure avec ceux, déjà conséquents, des étudiant·es de nationalité française ou issu·es du système d’enseignement français, et par la grande variation des attentes en fonction des établissements.

Les barrières sont également d’ordre linguistique. Dans un contexte où les solutions pour apprendre la langue sont très inégales et souvent très éloignées des standards universitaires, la (non) maîtrise du français et l’impossibilité de se mettre au niveau constituent en effet la première barrière à l’accès aux études. Les informations sur les tests linguistiques sont insuffisantes, les solutions proposées par les universités sont rares et les cours (contraignants) réalisés par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) sont insuffisants et arrivent tardivement dans le parcours migratoire.

L’absence d’information claire et accessible sur les conditions de reprise d’étude expose les candidat·es à l’arbitraire du personnel administratif des établissements universitaires. Celui-ci peut alors par manque de formation mais également parfois par manque de volonté manifeste, ne pas respecter le droit et mettre en place, sans qu’une résistance ne leur soit opposée, des pratiques administratives d’éviction.

Les conséquences sont parfois désastreuses sur le parcours d’études pour des personnes moins sûres de leurs droits, qui prennent souvent pour argent comptant les informations, parfois fausses, que des personnes en situation d’autorité leur donnent. Elles mènent très souvent à des ruptures de droit, comme des refus d’inscription fondés sur la situation administrative, surtout lorsque la personne n’a pas de statut régulier ou est en cours de demande d’asile. Ces difficultés sont souvent aggravées par des expériences accumulées de discrimination dans les autres sphères de leur vie qui entravent l’accès aux ressources nécessaires à la reprise d’étude, mais aussi par les longues périodes d’attente pour obtenir un titre de séjour, ce qui complique et retarde le projet de reprise d’études. Source de désœuvrement et d’incompréhension, ces obstacles conduisent à des abandons et au renvoi des étudiant·es exilé·es vers des métiers bien souvent pénibles et précaires, sans lien avec leur formation initiale.

Les barrières sociales et institutionnelles à la poursuite et à la réussite des études

Une fois en études, les mêmes difficultés se répètent et se cumulent avec d’autres, notamment relatives à l’intégration au sein de groupes d’étudiant·es et à l’adaptation au système d’enseignement français.

L’accompagnement pendant le cursus universitaire présente des lacunes : les étudiant·es font rarement l’objet d’un accompagnement spécifique et doivent s’adapter seul·es à leur nouvel environnement d’études, parfois très différent de celui qu’ils et elles connaissaient dans leur pays d’origine. Cela renforce les inégalités avec les autres étudiant·es et compromet d’autant plus la réussite du projet d’études. La première année s’apparente en effet à une année d’adaptation, avec des résultats souvent très éloignés des réelles compétences des étudiant·es et des conséquences désastreuses pour la poursuite d’un cursus académique dans un environnement universitaire de plus en plus sélectif.

Les difficultés dans la construction du lien social et les discriminations ont des impacts sur la vie quotidienne : elles retardent les parcours administratifs, professionnels, linguistiques et ont des conséquences néfastes sur la santé mentale. La solitude découle des démarches administratives laborieuses, de la nécessité de travailler à côté des études, de la distance géographique entre l’université et le lieu d’habitation, mais aussi des barrières linguistiques, des différences culturelles, et des écarts d’âge. Le ressenti des discriminations est omniprésent, touchant les étudiant·es sur la base du statut administratif, de traits culturels, sociaux ou liés à l’origine. Malgré ces défis, environ un tiers des enquêté·es parviennent à entretenir des liens sociaux grâce aux cours de langue ou à des familles d’accueil, avec des effets positifs sur les parcours d’études.

Plusieurs dispositifs locaux et nationaux existent pour pallier ces difficultés : les Diplômes universitaires Passerelle (DUP) ou d’autres programmes (comme à Poitiers ou à l’ENS de Paris). Sans corriger toutes les failles du système actuel, ils facilitent l’intégration à l’université en fournissant un accompagnement plus adapté et personnalisé, notamment en ce qui concerne l’apprentissage de la langue. Ces diplômes reposent néanmoins sur des financements publics et privés restreints qui limitent le nombre de places disponibles pour tous et toutes les étudiant·es candidat·es.

La précarité matérielle des étudiant·es exilé·es ou la déstabilisation des études

La précarité du logement, la difficulté d’accès aux ressources financières et les procédures administratives complexes sont autant de défis auxquels sont confronté·es les étudiant·es exilé·es, entravant leur réussite académique ou même la possibilité d’entamer des études.

Disposer d’un logement stable est essentiel pour la réussite des études des personnes exilées, mais de nombreux obstacles empêchent cette stabilité. La majorité des étudiant·es rencontré·es vivent dans des conditions difficiles, certain·es même dans la rue, ce qui a des conséquences sur leur santé physique et mentale. L’absence de solutions institutionnelles conduit à une suroccupation de logements partagés, compromettant l’intimité et la tranquillité nécessaires aux études. Les hébergements destinés aux demandeurs·euses d’asile sont très souvent inadaptés, notamment en raison du dispositif de l’hébergement directif de l’OFII.

Les résidences universitaires du Centre régional des œuvres universitaires et scolaires (CROUS) constituent parfois une solution, mais elles ne sont pas accessibles à tous et toutes, en raison de critères d’admission restrictifs. Même si les étudiant·es sous protection internationale (réfugié·e, protection subsidiaire ou temporaire) peuvent y avoir accès, un tri est souvent effectué entre les étudiant·es, selon leur niveau de diplôme ou leur origine nationale. Contraint·es de se loger dans le privé, les exclu·es du CROUS sont exposé·es à des coûts élevés de transport et à des difficultés financières fortes. Même avec un logement CROUS, des problèmes peuvent persister, tel que l’expulsion de la résidence en raison de difficultés financières.

À cette précarité résidentielle s’ajoute une précarité économique, qui prend d’abord la forme de difficultés d’accès aux bourses du CROUS en raison de critères d’âge et de statut administratif. Ensuite, les étudiant·es exilé·es sont souvent contraints d’occuper de petits emplois précaires pour subvenir à leurs besoins, imposant un équilibre instable entre travail et études. La nécessité de travailler découle de la précarité économique et administrative, engendrant une situation peu propice, voire impossible, pour la reprise des études.

Enfin, les démarches administratives, souvent longues et incertaines, compliquent le suivi des études. Les étudiant·es exilé·es font face à des obligations de présence liées à ces procédures, compromettant ainsi leur disponibilité pour les cours. Par ailleurs, l’attente prolongée et les différentes étapes des procédures de régularisation peuvent être moralement éprouvantes et limiter la disponibilité d’esprit nécessaire à l’apprentissage, ainsi que rendre incertains les perspectives et le projet d’études. La situation de précarité administrative rallonge le temps nécessaire pour entamer, suivre et valider des études.

Malgré l’ensemble des difficultés soulignées dans ce rapport, la plupart des personnes rencontrées souhaitent poursuivre leurs études et travailler en France. Elles envisagent leur avenir en France et sont déterminées à tout mettre en œuvre pour y arriver. À partir de l’enquête et de discussions avec des étudiant·es exilé·es, nous proposons une liste de recommandations à destination des établissements universitaires et de différents ministères et institutions publiques.

Pour lire la recherche vous pouvez la télécharger L’accès à l’enseignement supérieur_rapport d’étude_UEE_juin 2024 1