Portraits de femmes exilées étudiantes en France : le parcours  d’une étudiante déterminée

“J’ai choisi cette photo car je me compare à une montagne qui a une forte stabilité et qui n’accepte aucun obstacle”

LINA[1]

A l’occasion du 8 mars, l’UEE vous propose une série de quatre portraits de femmes exilées étudiantes et en reprise d’études, nous en publierons un par semaine pendant le mois de mars sur notre site.

Peux-tu nous raconter dans les grandes lignes ton parcours jusqu’à ton arrivée en France ? Pourquoi être venue ici ? Es-tu venue avec ta famille ?

J’avais étudié le français à l’Alliance française de ma ville donc j’avais envie de venir faire mes études en France mais il y avait deux problèmes : le financement et avoir le niveau de français requis. J’ai finalement obtenu le diplôme DELF B2 et j’ai envoyé ma lettre de motivation à des responsables de masters en France mais je n’ai pas trouvé assez de financements pour partir. J’ai continué d’apprendre le français et de mettre de l’argent de côté pour venir facilement en France. Les bourses m’ont été refusées plusieurs années de suite, elles étaient bloquées par les responsables administratifs de mon pays. Je suis quand même venue en 2017, j’ai payé de ma poche. Je suis venue seule avec le soutien de mon frère.

 

Pourquoi as-tu voulu reprendre des études en France ? Es-tu venue dans ce but ?

Oui je suis venue ici parce que mon père m’avait donné envie de venir en France, par les auteurs français qu’il nous faisait lire. Et aussi parce que j’avais appris le français et qu’il n’était pas possible d’étudier correctement dans mon domaine, notamment en ce qui concerne l’aspect pratique car le matériel avait été détruit. De plus, il n’y avait pas de master dans le domaine chez moi.

Dans mon pays, il n’est pas possible de faire de bonnes études pour plusieurs raisons : il n’y a pas un bon environnement pour étudier et tous ceux qui peuvent partent à l’étranger. Il n’y pas non plus de bon système d’éducation ni d’accès à l’université et, avec la guerre, beaucoup de personnes ont eu de graves problèmes de santé. Il y a aussi beaucoup de corruption ce qui empêche d’accéder à des bonnes études. Depuis le milieu du XXe siècle, c’est un échec à la fois des régimes politiques et des pays étrangers qui sont intervenus. Avec la mort de la démocratie on perd les études, ses spécialistes et ses savoirs.

 Comment cela s’est-il passé ? As-tu rencontré des obstacles particuliers ?

Dans le cadre de mon premier master le professeur m’a sorti de la classe car il ne voulait pas que je suive ses cours. J’ai changé de master et je suis allée dans une autre ville. J’avais de très bonnes notes mais ma responsable a diminué mes notes. J’ai quand même eu la moyenne et je suis restée dans la formation mais j’ai subi beaucoup de harcèlement moral de sa part, tout se passait à l’oral, je n’avais pas de preuves. Mes camarades étaient au courant mais  ils disaient que “c’était comme ça”. Cependant, grâce au sujet de mon mémoire, mon nouveau responsable était un monsieur très respectueux, et ça s’est très bien passé. Je n’ai jamais perdu ma motivation malgré la situation !

De plus, à cause d’une erreur administrative, je suis bloquée en France,  je regrette d’être venue car j’ai perdu du temps. Je n’ai pas pu rentrer pour les funérailles de mon fiancé. Actuellement je ne peux rien faire, je suis sans destin et je ne peux pas travailler. La préfecture dit qu’elle allait changer mon titre de séjour mais c’est bloqué depuis des mois. Ici l’étranger est toujours étranger.

Est-ce que le fait d’être une femme a rendu la reprise d’études plus compliquée ?

Oui, déjà quand on naît les gens sont déçus d’avoir une fille alors que quand c’est un garçon tout le monde est content. Heureusement notre famille était très éduquée, le seul rêve de mon père c’était d’éduquer ses enfants et c’est grâce à mon frère ensuite que j’ai pu partir dans plusieurs pays. Quelques personnes ont voulu m’empêcher de venir en France et d’obtenir une bourse pour les études mais je me suis accrochée.

En France aussi il y a un problème avec les droits des femmes et je voudrais souligner les femmes de certains services administratifs et de l’université ont été très discriminantes aussi.

Que voudrais-tu pour la suite ? Quels sont tes rêves et projets aujourd’hui ?

Mon unique but est d’être utile aux autres, c’est notre seule valeur intérieure. En ce moment, j’aide les gens : même si je ne peux pas travailler j’ai donné de mon temps à plusieurs associations. Mais j’ai eu des problèmes avec une association qui ne m’a pas payé pour mon travail de traductrice. Je suis aussi des ateliers de poésie et d’écriture en français : j’ai écrit un récit de mon vécu d’étudiante mais il faut le traduire en français, c’est une langue très compliquée. Lire et écrire, c’est tout ce que je peux faire en ce moment, je suis épuisée physiquement et psychologiquement par les problèmes administratifs qui bloquent ma vie.

Mon rêve c’est de pouvoir rentrer dans mon pays et surtout que la situation politique change. Mais j’ai déjà réalisé un rêve qui était de faire des études !

Quels conseils donnerais-tu à d’autres étudiantes exilées ?

Déjà, il vaut mieux avoir un diplôme et continuer ses études en France. Ensuite, il faut demander des conseils aux étudiants français car ils savent ce qu’il faut faire pour bien réussir aux examens. Il faut avant tout avoir du courage, de la motivation, de la sagesse et surtout des objectifs et ne jamais abandonne. Aussi, je déconseille de venir en France et d’aller plutôt étudier dans des pays anglophones.

Je dois quand même préciser que malgré les difficultés, l’expérience de la vie à l’étranger et des études m’a beaucoup appris. Il faut aider, motiver, orienter et respecter, cela ne coûte rien. Les gens ont besoin de comportement humains, de respect et de joie. Les gens qui viennent ici, ce n’est pas pour attaquer, c’est juste pour sauver leur vie.

[1] Le prénom de la personne a été inventé. Elle souhaite garder l’anonymat, c’est pourquoi son nom, son pays d’origine et sa formation universitaire ne seront pas divulgués.