La double lutte des femmes exilées en France : pour leurs droits et leur insertion professionnelle et universitaire

Introduction sur la journée du 8 mars : journée internationale de lutte pour les droits des femmes

Le 8 mars est une journée de mobilisation internationale pour les droits des femmes qui puise ses racines dans les luttes féministes du début du XXe siècle menées par les militantes socialistes et communistes en Europe. La première “Journée internationale des femmes” eut lieu le 19 mars 1911 à l’initiative de l’Internationale socialiste des femmes. Le mouvement ne se répand pas au-delà du bloc socialiste avant l’officialisation en 1977 d’une journée pour les droits des femmes le 8 mars par les Nations Unies. Depuis, des manifestations et actions comme les grèves sont organisées chaque année à travers le monde par les collectifs et associations féministes afin de revendiquer l’égalité des droits et améliorer les conditions de vie de toutes les femmes.

Rapide esquisse de la situation des femmes exilées en France

Les femmes exilées représentaient 51,8% des migrants internationaux présents en France en 2017, un chiffre stable depuis 2008. On sait également depuis les années 1990 qu’elles ont des projets migratoires autonomes et des motivations indépendantes, ainsi, en 2020, 56% des femmes exilées arrivées en France étaient célibataires [1].

En 2018 [2], la moitié des femmes ayant demandé une protection en France venaient d’Afrique, un quart venait d’Europe, les autres venaient ensuite d’Asie d’abord ou d’Amérique. En fonction, de l’origine le niveau d’études et de langue peut être très inégal, il reste que 38% des femmes exilées sont diplômées de l’enseignement supérieur[3].

Enfin, elles sont plus exposées à la précarité économique et administrative et donc aux violences et aux problèmes de santé (physique et mentale). Par exemple, par peur de perdre leur titre de séjour, elles n’osent pas porter plainte et celles qui le font sont régulièrement discriminées du fait de leur statut. Et, de par leur condition de femme, elles sont également plus susceptibles d’être victimes de violences notamment au cours de leur parcours migratoire.

À l’intersection des discriminations : l’insertion professionnelle et universitaire des femmes exilées

De par notre expérience, lors de nos permanences, nous observons que moins de femmes exilées accèdent à l’enseignement supérieur en France bien que cela ait brutalement changé avec l’arrivée de nombreuses étudiantes ukrainiennes (53% des personnes que nous accompagnons étaient des femmes en 2022 alors que celles-ci étaient minoritaires jusque-là). L’insertion des femmes exilées, qu’elle soit professionnelle ou universitaire, est rendue plus difficile par leur double statut à la fois de femme et de personne exilée : elles cumulent les inégalités et discriminations. Plusieurs facteurs sont des entraves à leur insertion dans ces deux domaines et les premiers sont relatifs aux conditions matérielles. En effet, leur précarité est exacerbée par un accès particulièrement difficile aux ressources financières, au logement et à la langue ainsi que par un plus grand isolement et une plus forte exposition aux violences.

Tout d’abord, la barrière de la langue est un des premiers facteurs de discrimination car elle empêche une compréhension des procédures et méthodes de recherche d’emploi. Dans le cas des études, cela limite les formations auxquelles elles peuvent postuler (beaucoup de cursus demandent un niveau de français B2 voire C1 minimum) et dans le monde professionnel, cela leur empêche de saisir toutes les opportunités qui se présentent à elles car de nombreux emplois (vente, professorat etc.) nécessitent un haut niveau de français. Enfin, même si elles maîtrisent bien la langue, elles peuvent être victimes de glottophobie et se voir refuser des postes du fait de leur accent.

Ensuite, les femmes exilées sont confrontées – comme la plupart des personnes exilées en France – au problème de la reconnaissance et de l’équivalence des diplômes. Cette démarche étant compliquée et longue, en particulier pour les diplômes non-européens, elles sont empêchées ou retardées dans leur reprise d’études et disqualifiées sur le marché du travail. La première conséquence est une disqualification professionnelle et la relégation vers les métiers peu valorisés et peu rémunérés. Ainsi, du fait de leur faible niveau de français et de la non-reconnaissance de leur reconnaissance de leurs diplômes, les femmes exilées sont pénalisées dans l’obtention d’un emploi [4] et sont surreprésentées dans le secteur de la santé (4% d’entre elles étaient aides-soignantes en 2017 [5]), de l’hébergement, de la restauration et de l’action sociale. Selon une enquête de l’INSEE de 2020, 19% des femmes exilées des pays tiers étaient employées dans le secteur santé (contre 5% pour les hommes) et, en 2017, 4% d’entre elles étaient agentes d’entretien [6]. À noter que les femmes exilées sont davantage touchées par le chômage : toujours selon l’INSEE elles étaient 21% à être au chômage en 2017 contre 8,5% des Françaises. Cela les plonge dans une grande précarité, cause une perte d’autonomie financière et crée donc une dépendance plus grande aux personnes qui subviennent à leurs besoins comme la famille ou le conjoint. Mais cela engendre aussi des effets psychologiques néfastes car ces femmes doivent se résigner à changer de profession pour celles qui exerçaient déjà ou à renoncer à leurs projets futurs et à leurs rêves pour celles qui souhaitaient intégrer l’université française.

Par ailleurs, les femmes exilées ont souvent peu de réseau qu’il soit social ou professionnel ce qui nuit à leur intégration et renforce les difficultés d’insertion professionnelle ou universitaires. Dans le cas des salariées, elles ne vont pas avoir l’avantage d’être recommandées à des employeurs ou aider dans leur recherche d’emploi. Pour les étudiantes exilées, cela se traduit par un isolement au sein de l’université, un mauvais accès à l’information notamment à propos des activités socio-culturelles et des modalités d’examen ainsi que par un manque de soutien.

Il faut ajouter à cela les violences qu’elles subissent du fait de leur genre que ce soit au cours de leur parcours migratoire durant lequel elles sont les premières victimes des violences sexuelles ou dans leur pays d’accueil. Une enquête de 2019 réalisée par la DSAFHIR, révèle que 75% des femmes immigrées ont subie une forme de violences grave au cours de leur vie et 46% dénoncent des abus survenus en France [7]. Elles sont aussi plus susceptibles que les hommes exilés de subir du harcèlement, des abus et des violences sexistes et sexuelles que ce soit au travail, dans l’environnement quotidien, à l’université ou dans le foyer. De plus, elles n’osent souvent pas porter plainte de peur que cela n’impacte négativement leur demande titre de séjour et sont forcées de rester dans des situations dangereuses (violences conjugales, harcèlement au travail etc.) du fait de leur grande précarité économique. Sans compter que ces discriminations comme le harcèlement moral sont doublées par les discriminations raciales dont elles sont victimes. Tout cela a un impact psychologique lourd et les victimes de ces violences ne sont que rarement prises en charge par les services médicaux de par le coût ou le manque d’information. Cela a évidemment des effets néfastes sur l’insertion socio-professionnelle ou universitaire.

Les femmes exilées ont également plus de difficultés pour accéder au logement. Or, le manque d‘accès aux logements met en danger la poursuite des études des personnes exilées et les met dans une situation de grande précarité, notamment les femmes qui sont plus exposées aux violences et discriminations si elles restent à la rue. Les mères sont par ailleurs plus exposées au mal ou non-logement du fait de leur plus grande précarité. Une des solutions fréquentes pour sortir de cette situation est la prostitution comme le souligne un rapport de la Fondation Abbé Pierre de 2023 [8].

Enfin, la maternité peut constituer un frein dans la recherche d’emploi ou de formation universitaire car les mères ne peuvent pas toujours avoir recours à des services de garde d’enfants du fait de leur situation économique ou se faire aider par des proches si elles sont isolées. Cela les empêche de suivre des cours ou d’exercer certains emplois. De plus, si elles sont enceintes, il leur sera encore plus difficile d’accéder au monde du travail du fait de la réticence des employeur.euse.s à embaucher des femmes qui prendront par la suite un congé maternité.

Ainsi, les femmes exilées cumulent les discriminations, elles sont plus touchées par la précarité et l’isolement auxquels peuvent s’ajouter les violences dues à leur genre. Leur insertion professionnelle et universitaire est donc particulièrement difficilece qui explique leur surreprésentation dans les métiers peu valorisés et mal payés.

L’UEE et l’accompagnement des femmes exilées

En 2022, les femmes représentaient 53% des 1580 personnes accompagnées par l’UEE, la participation des femmes a augmenté cette année du fait de l’arrivée des étudiantes ukrainiennes. Sur les 924 personnes qui ont pu être inscrites à l’université 584 (63%) étaient des femmes.

Les étudiantes ont tendance à s’inscrire à des diplômes moins élevés. En effet, elles représentent 55% des admissions en licence et DU Passerelle et près de 60% de celles en DAEU mais seulement 32% des admissions en master.

140 étudiantes que nous avons accompagnées dans leur recherche de logement ont trouvés une place au CROUS ou en logement solidaire et 466 ont obtenu une bourse (ASAA, BSC ou bourse d’entraide universitaire acquise).

Les principaux problèmes qu’elles rencontrent sont en premier lieu la barrière de la langue puis l’accès aux bourses, les problèmes administratifs, l’accès au logement et enfin l’isolement.

Nos recommandations pour un meilleur accueil des étudiantes exilées au sein de l’enseignement supérieur français

Accès à l’enseignement supérieur

  • Garantir un accès digne, équitable et gratuit à l’enseignement supérieur quel que soit le statut administratif, l’origine, la nationalité et le genre de la personne en reprise d’études
  • Garantir un accès sans préjugés et discriminations fondés sur l’origine réelle ou supposée, la nationalité, le genre ainsi que toute autre forme de discrimination
  • Etablir des diagnostiques réguliers sur l’accès à l’enseignement supérieur des femmes exilées
  • Produire des données statistiques désagrégés pour établir les besoins des différents publics, notamment des femmes
  • Il est nécessaire que les agents universitaires (personnel administratif et enseignant notamment), y compris les agents du CROUS, soient dument formés sur la situation spécifique des étudiant.e.s exilé.e.s pour garantir un accueil et une orientation adaptés à leurs besoins et sans discriminations
  • Les établissements d’enseignement supérieur doivent répondre aux différents besoins des étudiant.e.s exilé.e.s pour faciliter leur participation dans la vie étudiante, garantir l’égalité en donnant les moyens et les outils de travail pour leur réussite dans le parcours académique.
  • Donner aux femmes exilées en reprise d’études la liberté de choisir le domaine d’études qu’elles souhaitent, sans que certaines formations soient imposées en raison de leur genre et des besoins du marché du travail en France

Inscription

  • Garantir le droit à la reconnaissance des diplômes et des compétences pour l’inscription à l’université gratuitement : il est primordial que les établissements mettent en place des procédures de reconnaissance du niveau d’études des personnes candidates et sans diplôme, par exemple par des entretiens (VES, VAPP).
  • Mettre en place un plan d’accueil avec une approche de genre et intersectionnelle, qui prévoit un accompagnement individualisé et de qualité, de cours méthodologiques spécifiques, des projets de mentorat entre étudiantes francophones et étudiantes exilées, des hébergements en non-mixité, des activités spécifiques pour développer le lien social et rompre l’isolement.
  • Mettre en place des systèmes de garderie pendant les cours pour toutes les étudiantes mères isolées

Apprentissage du français

  • Garantir le droit à l’apprentissage du français au-delà de la communication basique, et un accès inconditionnel à la formation académique ou professionnelle des nouveaux et nouvelles arrivant.e.s
  • Garantir une formation linguistique de qualité, gratuite et adaptée aux besoins académiques des femmes exilées : l’offre de cours de français doit être diplômante et reconnue par les établissements universitaires pour les personnes exilées souhaitant reprendre les études supérieures

Conditions matérielles de vie

  • Ouverture des bourses et logements CROUS à tous les étudiant.e.s inscrit.e.s dans l’enseignement supérieur, quel que soit leur nationalité et leur statut administratif
  • Donner le droit à ce que la bourse du CROUS et d’autres aides (comme le RSA ou l’ADA) soient cumulables à taux plein
  • Etablir des “référentes CROUS réfugiés” et les former pour un accueil spécifique des femmes exilées en reprise d‘études avec une approche de genre et intersectionnelle. Qu’une liste de ces référentes soit mise à jour, publiée et rendue accessible afin de pouvoir avoir un accès direct et facilité pour les étudiant.e.s exilé.e.s
  • Garantir un accès à un logement sûr, confortable et durable tout au long des années d’études à un prix abordable pour les étudiantes exilées afin de leur garantir une sécurité matérielle, sanitaire et psychologique
  • Garantir un logement adapté aux besoins des étudiantes exilées, notamment celles qui auraient des personnes à charge (enfants, grands-parents, etc..)

Pour illustrer l’article, nous vous proposons une série de quatre portraits de femmes exilées étudiantes et en reprise d’études, nous en publierons un par semaine pendant le mois de mars sur notre site.

 

Ressources utilisées :

L’insertion professionnelle des femmes migrantes en France | EPALE (europa.eu)

Les réfugiées et les migrantes | ONU Femmes (unwomen.org)

Dans quels secteurs économiques les femmes immigrées travaillent-elles ? | Musée de l’histoire de l’immigration (histoire-immigration.fr)

Les défis rencontrés par les femmes réfugiées dans l’accès à l’enseignement supérieur en Île-de-France. – AgiSanté : agir en interculturalité et en santé dans le Gard (agisante-gard.org)

https://rm.coe.int/femmes-migrantes-fr-coe-150520-/16809f1558

  

[1] https://www.ofpra.gouv.fr/libraries/pdf.js/web/viewer.html?file=/sites/default/files/2022-11/rapport_dactivite_de_lofpra_-_2020_compressed.pdf (p. 13)

[2] https://www.ofpra.gouv.fr/libraries/pdf.js/web/viewer.html?file=/sites/default/files/2022-10/rapport_dactivite_2018.pdf-compressed.pdf (p. 110 et 112)

[3] https://rm.coe.int/femmes-migrantes-fr-coe-150520-/16809f1558

[4] https://vu.fr/Ysbk

[5] https://dares.travail-emploi.gouv.fr/sites/default/files/603e003378fb28cf5870f021de8a0ff4/Document%20d%27%C3%A9tudes_metiers_immigr%C3%A9s.pdf(p. 28)

[6] https://dares.travail-emploi.gouv.fr/sites/default/files/603e003378fb28cf5870f021de8a0ff4/Document%20d%27%C3%A9tudes_metiers_immigr%C3%A9s.pdf(p. 28)

[7] https://www.santepubliquefrance.fr/docs/parcours-migratoire-violences-declarees-et-sante-percue-des-femmes-migrantes-hebergees-en-hotel-en-ile-de-france.-enquete-dsafhir

[8] https://www.fondation-abbe-pierre.fr/sites/default/files/2023-01/REML2023_WEB.pdf