Etat des lieux de la situation des personnes exilées dans l’enseignement supérieur en France

20 juin 2023_Etat des lieux accès universités étudiants exilés_Union des Etudiants Exilés

A l’occasion de la journée mondiale des réfugiés du 20 juin l’Union des Etudiants Exilés dresse un

Etat des lieux de la situation des personnes exilées dans l’enseignement supérieur en France

Introduction

La situation actuelle des personnes exilées est très préoccupante notamment en Europe où le climat politique est de plus en plus hostile, ce qui a des conséquences meurtrières comme le montre le naufrage d’un bateau au large de la Grèce qui a coûté la vie à 79 personnes le 14 juin dernier.

En France, on remarque également un durcissement au plan politique comme le montrent les récents débats sur le projet de loi asile et immigration : les droits des personnes exilées sont menacés voire reculent.

A l’Union des Etudiants Exilés, en tant qu’association créée “par et pour” les étudiant.e.s exilé.e.s nous défendons un accès à l’enseignement supérieur et des conditions d’études favorables pour les personnes exilées. Cette journée mondiale des réfugié.e.s du 20 juin est donc l’occasion pour nous de faire un état des lieux de la situation des étudiant.e.s exilé.e.s (indépendamment de leur statut administratif) dans l’enseignement supérieur en France aujourd’hui. Celui-ci est fondé sur notre expérience de terrain (à titre d’exemple, plus de 1500 personnes ont été accompagnées en 2022 dont 47% d’hommes et 53% de femmes) ainsi que sur les derniers rapports et données disponibles.

Le sujet de l’accès aux études des personnes exilées en France est devenu de plus en plus central depuis 2015 en raison de l’afflux de réfugiés éduqués en provenance de Syrie souhaitant poursuivre leurs études supérieures. L’émergence d’une “population de réfugié.e.s” a conduit à l’institutionnalisation de diplômes universitaires passerelle (DUP)[1] au niveau universitaire et coordonné par le réseau MENS (Migrants dans l’Enseignement Supérieur)[2] depuis 2017, mais aucune stratégie de politique publique n’a été mise en place au niveau de l’État, et ce jusqu’à ce jour.

 

Pourtant, plusieurs textes de loi stipulent que l’accès à l’éducation doit être ouvert à tous.tes quel que soit leur situation. En effet, l’article 13 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) reconnaît le droit de toute personne à l’éducation et stipule que l’enseignement supérieur doit être rendu accessible à tous en pleine égalité. L’ODD 4 (Objectif de Développement Durable 4) vise à “Assurer une éducation de qualité inclusive et équitable et promouvoir les possibilités d’apprentissage tout au long de la vie pour tous” (objectif 4.3) d’ici à 2030. La Convention de Lisbonne fournit quant à elle un cadre juridique à la reconnaissance des diplômes des personnes exilées ou déplacées et le Code de l’Education donne en France le cadre et les modalités de l’accès à l’enseignement supérieur (accès, exonérations…). Enfin, le Pacte mondial pour les réfugiés de 2018 reconnait “l’impact positif que l’accès à l’éducation peut avoir sur la capacité des réfugiés à subvenir à leurs besoins et à contribuer à leurs communautés d’accueil, les États et les parties prenantes concernées devraient prendre des mesures concrètes pour veiller à ce que les réfugiés aient accès à l’enseignement primaire, secondaire et supérieur, sur un pied d’égalité avec les ressortissants nationaux et sans discriminations.”

Contexte général

L’accès à l’enseignement supérieur reste encore très limité pour les personnes exilées, en effet, dans le monde, sur les 108 millions de personnes [3][4] on compte seulement 6% de réfugié.e.s scolarisé.e.s dans l’enseignement supérieur[5].

Concernant les étudiant.e.s exilé.e.s en France, il est aujourd’hui difficile de donner une estimation précise de leur nombre et de détailler leur profil car il n’existe pas de données exhaustives. Seules les données partielles comme celles du CROUS, de la CVEC ou du réseau MEnS nous permettent d’avoir un aperçu chiffré mais que très partiel de la situation. Pourtant, les personnes immigrées arrivant en France sont très qualifiées : 51% des plus de 25 ans sont diplômés de l’enseignement supérieur en arrivant en France (INSEE, 2023). A noter que les femmes – qui sont majoritaires (bien que cette tendance soit sur le déclin) – sont plus diplômées (37%) que les hommes (26%).[6]

Si la France est une destination privilégiée par les étudiant.e.s internationaux.ales en étant le 7e pays d’accueil en 2022[7], un long progrès reste à faire concernant le public spécifique que constitue les personnes exilées. En effet, les 36 DU Passerelle accueillent environ 1500 étudiant.e.s chaque année et ne satisfont qu’une partie très faible des demandes (environ 1/3 des demandes) laissant beaucoup d’étudiant.e.s sans alternatives du fait de leur profil particulier.

Difficultés et problèmes persistants

L’accès à l’enseignement supérieur n’étant pas universellement garanti, les personnes exilées se heurtent à des défis et des obstacles importants. Ces derniers rendent difficile l’accès aux études et, en conséquence, les possibilités de s’intégrer dans la vie socio-économique du pays d’accueil.

Niveau de français : Les formations linguistiques sont insuffisantes et souvent inadaptées pour un véritable accès à l’enseignement supérieur, à cause desquelles les personnes demeurent bloquées à des niveaux de français trop bas pour prétendre aux formations qui correspondent à leurs compétences ou à leurs projets.

Accès à l’information : Il n’existe que très peu d’informations disponibles et accessibles sur les possibilités de reprise d’études supérieures pour les étudiant.e.s exilé.e.s. Les droits concernant l’accès à l’enseignement supérieur ne sont pas connus et il n’y a que très peu d’affichage et diffusion des informations concernant les possibilités de reconnaissance de diplômes, l’accès aux aides financières et concernant la reprise d’études pour les exilé.e.s de manière plus générale.

Difficultés pour candidater : Nous observons des difficultés pour l’inscription comme : exonération pas prise en compte pour les demandeurs.euses d’asile, des procédures d’inscription pas adaptées, le manque de procédures pour la reconnaissance de diplômes et de valorisation des compétences acquises préalablement, manque de procédures dérogatoires en cas d’absence de diplôme (que les étudiant.e.s ne sont pas en mesure de récupérer dans leur pays d’origine la plupart du temps).

Manque d’accompagnement adapté au sein de l’université : Nous constatons un manque d’accompagnement linguistique, administratif, psychologique, médical et méthodologique. Les personnes qui réussissent à traverser le parcours du combattant de l’inscription et l’entrée à l’université, sont souvent délaissées, livrées à elles-mêmes durant leurs études. Le manque de moyens alloués au CROUS et aux dispositifs psychologiques ainsi que dans la médecine universitaire, et dans l’accompagnement plus en général, se répercute sur leur qualité de vie.

Précarité financière : La précarité financière est également un obstacle majeur à la reprise d’études des personnes exilées et celle-ci est due à plusieurs facteurs liés au parcours migratoire comme la difficulté voire l’impossibilité de trouver un emploi, peu ou pas d’économies ni de soutien familial, peu de réseau…Mais aussi à des facteurs liés au fonctionnement des administrations tel que le CROUS qui n’ouvrent pas les bourses aux demandeur.euse.s d’asile et aux personnes sans titre de séjour et les exonérations ne sont pas non plus automatiques.

Difficile accès au logement : Cela représente une des plus grandes difficultés pour les étudiant.e.s exilé.e.s étant inscrit.e.s dans une formation. En effet, la phase principale d’attribution des logements CROUS n’est pas ouverte aux étudiant.e.s internationaux y compris les étudiant.e.s exilé.e.s. Bien qu’ils puissent y avoir accès à la phase complémentaire, il y a beaucoup moins de places sur cette phase et ils/elles rencontrent des nombreuses difficultés à se loger. Le reste du marché immobilier est difficile d’accès notamment en Ile-de-France du fait de la forte demande et de la précarité plus importantes des personnes exilées qui ont du mal à obtenir un logement (pas toujours de garants ou de ressources suffisantes).

Fracture numérique : De par leurs ressources souvent moins importantes, les étudiant.e.s exilé.e.s ont souvent du mal à avoir accès aux outils numériques soit pour manque de familiarité avec ces outils soit parce qu’ils et elles ne possèdent pas un ordinateur, pourtant désormais nécessaires pour suivre un cursus dans la plupart des formations supérieures. Cela les freine donc dans leur apprentissage.

Santé mentale : Nous avons constaté des nombreuses situations de fragilité psychologique parmi les étudiant.e.s exilé.e.s accompagné.e.s. Les personnes ayant traversé un parcours d’exil souffrent souvent de difficultés psychologiques (et médicales) plus ou moins lourdes et se heurtent à la saturation des services dédiés aux personnes en exil dans les associations ou les structures hospitalières.

Dispositifs de découragement : l’hébergement directif et contraignant de l’OFII (Office Français de l’Immigration et de l’Intégration) qui déplace la personne vers des centres d’hébergement éloignés du jour au lendemain, ce qui brise les attaches et les projets ; des discours décourageants du personnel de formation ; rejets et discriminations, etc.

Difficile accès aux stages, aux alternances, au réseautage : Les étudiant.e.s exilé.e.s rencontrent régulièrement des difficultés pour trouver des stages ou alternances car les entreprises et administrations sont récalcitrantes à l’idée de les employer. De plus, l’obtention de ces contrats est facilitée par le réseau, ce qui discrimine les personnes exilées qui en ont souvent peu du fait de leur arrivée récente en France.

Barrières administratives (OQTF, difficultés avec l’obtention du titre de séjour) : Malgré leur insertion dans l’enseignement supérieur, certain.e.s étudiant.e.s continuent d’être en difficulté vis-à-vis de l’obtention d’un titre de séjour, ce qui peut ajouter un stress supplémentaire qui rend compliqué leur poursuite d’études voire y mettre un terme s’ils/elles reçoivent une obligation de quitter le territoire. Souvent ces difficultés les empêchent de poursuivre les études et plusieurs abandonnent.

Focus sur les femmes : Les femmes exilées sont d’autant plus exposées aux difficultés qui touchent l’ensemble des personnes exilées. En effet, leur précarité est exacerbée par un accès particulièrement difficile aux ressources financières, au logement et à la langue ainsi que par un plus grand isolement et une plus forte exposition aux violences et aux problèmes de santé (mentale et physique). Tous ces facteurs représentent des entraves à leur insertion académique (et, par conséquent, professionnelle).

 

Préconisations de l’UEE pour une meilleur accueil des personnes exilées dans l’enseignement supérieur

Un meilleur accès à l’enseignement supérieur pour les étudiant.e.s exilé.e.s est urgent puisque cela leur permet d’avoir accès à des emplois plus qualifiés, réduit le risque de subir un déclassement et leur permet de choisir de manière libre leur trajectoire de vie. C’est également souhaitable pour la société en générale car l’insertion sociale est facilitée par les études et la mixité sociale est ainsi renforcée. De plus, les chiffres montrent que les migrations sont bénéfiques pour les pays d’accueil, en effet, les personnes exilé.e.s souvent très qualifiées, contribuent au dynamisme économique. Enfin, un accueil inconditionnel et sans discrimination de la part des universités est plus que nécessaire pour assurer un service public de qualité qui se doit de faciliter l’accès et d’accompagner les étudiant.e.s, pour atteindre l’objectif d’une université ouverte et accueillante.

Afin de garantir la réussite et l’excellence académique, toute université devrait valoriser une culture de la diversité et assurer un environnement d’études qui promeuve le droit à l’épanouissement intellectuel pour tous et toutes, indépendamment de l’âge, l’origine, la nationalité, l’orientation sexuelle, l’identité de genre, la situation socio-économique…

Voici nos principales préconisations tirées de notre longue expérience d’accompagnement :

1° Création d’une véritable politique d’accueil des personnes exilées pérenne et égalitaire, partout au sein des établissements universitaires. Les Ecoles et les Universités doivent être des lieux de création de modèles d’insertion sociale et des moyens inédits de rencontre, de réflexion et de partage. Cela doit se faire en concertation avec les associations étudiantes, les personnes concernées et les établissements universitaires

2° La systématisation de ces programmes d’accueil destinés à la reprise d’étude d’étrangers doit permettre la généralisation, l’harmonisation et le financement de tous les programmes (comme les Diplômes Universitaires Passerelle).

3° La mise en place d’un plan d’action pour la gestion des urgences si des crises devraient se (re)présenter (comme celles de l’Afghanistan, Ukraine, Soudan…). Cela devrait être conçu via la constitution d’un groupe de travail interministériel et en concertation avec les associations étudiantes, les personnes concernées et les établissements universitaires

4° L’accès à l’enseignement doit être facilité avec l’instauration de procédures dérogatoires et flexibles comme la DAA (Demande d’Admission Adaptée) et l’accès à l’information doit être amélioré.

5° Les étudiant.e.s exilé.e.s doivent avoir accès à des cours de français de qualité et gratuits, au-delà de la communication basique, et qui garantissent l’entrée à l’université. Si la personne n’a pas le niveau requis en Français Langue Etrangère, l’université doit lui proposer de s’inscrire dans un programme d’accueil, dont la nécessité devrait être inscrite dans le code de l’éducation.

6° Un accompagnement tout au long du parcours d’études avec la mise en place de référent.e.s étudiant.e.s en exil formé.e.s à l’accompagnement de ce public spécifique au sein des institutions de l’enseignement supérieur permettrait une égalité dans les chances de réussite et une meilleure intégration au sein des établissements.

7° Cette accompagnement passerait aussi par la lutte contre l’isolement avec l’organisation d’activités facilitant l’intégration et/ou la mise en place systématique de binômes au sein des classes.

8° L’amélioration des conditions matérielles pour plus d’égalité et augmenter les chances de réussite est également indispensable et cela passe par l’ouverture des bourses et logements du CROUS à tous les étudiant.e.s quel que soit leur statut administratif. Les exonérations sont à systématiser tout comme les aides d’accès aux ressources numérique. Enfin, la restriction du nombre d’heures de travail pour les personnes détenant un visa étudiant et celles en demande d’asile devrait être abrogée.

9° Enfin, une meilleure représentation des étudiant.e.s exilé.e.s au sein des établissements et des conseils administratifs des institutions comme le CROUS jusqu’ici presque inexistante est importante puisqu’elle leur permettrait de faire entendre leur voix et défendre leurs droits.

 

L’UEE tient à rappeler son plein engagement auprès des étudiant.e.s exilé.e.s à qui notre permanence est ouverte tous les jours !

 

UEE – UNION DES ÉTUDIANTS EXILÉS (uniondesetudiantsexiles.org)

 

[1] Il s’agit d’une formation pré-universitaire destinée aux personnes exilé.e.s non francophones

[2] Présentation du DU Passerelle – RÉSEAU MEnS (reseau-mens.org)

[3] L’insertion professionnelle des immigrés primo-arrivants en France − Immigrés et descendants d’immigrés | Insee

[4] Global Trends Report 2022 | UNHCR (p. 2)

[5] Rapport 2022 du HCR sur l’éducation – Campagne pour l’éducation des réfugiés: Inclusion totale et pour tous | HCR (unhcr.org) (p. 6)

[6] L’insertion professionnelle des immigrés primo-arrivants en France − Immigrés et descendants d’immigrés | Insee

[7] Chiffres clés 2021 | Campus France